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UN PROBLEME D’ORTHOGRAPHE.

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L’enfant qui vient n°9

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Les ressorts d’un problème d’orthographe

« L’enfant entre dans le discours analytique comme un être de savoir, et pas seulement comme un être de jouissance. (…) c’est un savoir respecté dans sa connexion à la jouissance qui l’enveloppe, qui l’anime, et dont on peut même dire qu’elle se confond avec lui. »1
C’est avec cette phrase en tête que je rencontre Samuel, neuf ans. Lorsqu’il est entré à l’école, Samuel a eu un petit frère, de trois ans plus jeune, dont il aurait dit à la naissance : « J’aimerais bien qu’il meure. » L’année de CP, Samuel a été très malade… l’apprentissage de la lecture et de l’écriture a été, de fait, difficile. D’emblée il me demande : « C’est toi qui t’es installée en premier ? Quand on vient avant, on prend plus de place, sinon, ce ne serait pas logique. » La logique est le point fort de Samuel, très brillant en maths ; il demande à faire les opérations les plus complexes possibles, me propose des jeux de stratégie, essaie de me piéger. Il est aussi fan de Starwars dont il connaît tous les épisodes et est passionné de Legos avec lesquels il invente des constructions.
Il précise : « Il y a des choses qui ne vont pas mais je ne sais pas comment expliquer ». Il se plaint de la maîtresse qui met des croix, de la maison où « je n’arrive pas à m’appliquer », de son petit frère qui a plus de livres que lui. Au début de nos rencontres, c’est chez ses copains qu’il doit aller pour jouer à la WII, « Ce qui m’agace, c’est qu’ils (ses parents) veulent que je joue presque jamais à la WII parce que des fois, je fais des bêtises, je ne veux pas faire mes devoirs, ils trouvent que je suis énervant, ils disent non à la WII ». Les premières séances, Samuel bouge beaucoup. Cependant, un livre dans la bibliothèque l’arrête : le feuilleton d’Hermès. La mythologie n’a pas de secret pour lui, il lit les têtes de chapitre et les commente. Dans un lapsus, il s’était présenté comme le dernier de la famille, et termine la séance beaucoup plus apaisé après m’avoir dit : « Zeus est le dernier des enfants de Chronos, celui qui n’a pas été dévoré. »
Il revient en m’annonçant qu’à l’école, « c’est mieux en comportement » mais qu’il a toujours des petits soucis : « Je suis nul en orthographe ; il y a un truc que je ne comprends pas : pourquoi je suis fort en maths et nul en orthographe. » Il me parle d’une histoire en 7 tomes qu’il lit, s’intéresse au tome 5 intitulé : Prisonnier du passé et au 7 : L’élu. Il ajoute : « Pour le présent je suis nul en orthographe, les lettres posent problème. »

Puis Samuel m’annonce qu’il voudrait « être fabricant de jouets, et scientifique », faire des circuits de voiture pour nos enfants . Il dessine des plans de maison, de voies ferrées, des réseaux compliqués, un laboratoire, tout un labyrinthe fermé sur lui-même qui tient sur plusieurs feuilles. Je scande « heureusement qu’il y a des passages pour s’échapper ! »
Il revient la semaine suivante en se plaignant de ce qui se passe à la maison « ça m’épuise qu’on me gronde, j’ai envie de tout casser, je sais plus quoi faire, quand ils sont en colère contre moi, ils n’entendent que mon frère » et ajoute « je suis nul en orthographe, je ne sais pas pourquoi… des fois je me trompe dans les lettres ». Une nouvelle histoire arrive : « Là, chaque planète a une lettre de l’alphabet différente, la première lettre est toujours différente. » Il en écrit une autre : « Ça s’appelle la guerre des clans, quand il y a une prophétie, un autre cycle va commencer. Le 1, c’est Avant la prophétie ; le 2, Après la prophétie ; le 3, La prophétie. »

Noël approche, Samuel parle des cadeaux à venir : « On aurait dû avoir une WII depuis deux ans. » Je m’étonne de cette précision : « Deux ans ? » « Oui, normalement je devais avoir un grand frère, maman avait accouché deux ans avant que je naisse, le bébé est mort dans son ventre, elle m’a raconté cette histoire quand j’étais en grande section. Il aurait eu sept ans. Ils ont dit qu’on avait le droit d’avoir une WII à neuf ans, alors on devrait l’avoir eue depuis deux ans. J’aurais bien voulu avoir un grand frère. On ne sait pas ce qui se passe quand on est un grand frère. » Je lui dis : « Toi, tu es un grand frère bien vivant ! » Cette scansion a un effet de sidération. Samuel qui regardait dehors, s’assoit, et s’ensuit un très long silence. Puis, comme s’il s’éveillait il me regarde et dit : « …emain, …e …ais… » Devant ma surprise il précise : « Je parle la langue enlève la première lettre », et me propose d’en écrire l’alphabet. A chaque lettre, A y compris, il associe une lettre qu’il crée. Il s’en sert pour écrire des mots que je dois déchiffrer. De cette langue parlée où il a soustrait la première lettre, Samuel est passé immédiatement à une langue écrite dont il invente le code. Le A y a retrouvé sa place. La séance suivante, il arrive en m’annonçant que pour la première fois, il a eu vingt en dictée de phrases. Le travail se poursuit…

Isabelle Pontécaille
 1.  Miller J.-A., Peurs d’enfants « L’enfant et le savoir », Paris, Navarin, 2011, p.18.