Réflexions sur le travail du Groupe DEDALUS 2014/2015
Texte publié dans DIAGONAL (Bulletin électronique de la Diagonale Francophone du Nouveau Réseau CEREDA) en Juillet 2015
Nous avions pris le parti, pour introduire notre année de réflexion, de mettre en avant la question du transfert comme préalable à tout travail, nous appuyant sur le séminaire XI « le transfert est un phénomène où sont inclus ensemble le sujet et le psychanalyste »[1]. ll nous est en effet apparu que transfert inaugural et interprétation sont intimement liés. Le transfert, comme moteur de la cure permettant l’interprétation, l’interprétation posant et confortant le transfert. Extraire le sujet en est la conséquence.
Parler du transfert, c’est parler de ses usages, de ses résistances, des initiatives du praticien, et c’est aussi, avant tout, pour notre champ, entendre avec l’amour qui y est inhérent, les fictions de l’enfant. Nous nous sommes appuyés, pour éclairer ce point, sur le texte de Daniel Roy dans la cause 87 « Fictions d’enfance »[2] , « deux modalités réunis dans une double hélice »[3], qui fut moment important de notre recherche. Marie Hélène Brousse parle dans ce même ouvrage de la fiction comme « un mode de jouissance » qui « s’impose à l’animal humain du fait qu’il est produit de la structure du langage et de la parole ».
Si, comme l’écrit Lacan, « La vérité a structure de fiction »[4] ses formes augmentent chaque jour et tout praticien avec les enfants est confronté à cette abondance de fictions proposées sur le marché : les mythes perdurent même s’ils sont souvent oubliés, contes et romans paraissent parfois obsolètes au regard des séries, jeux vidéos ou autres objets plus contemporains. Cette vérité, construite dans le code de l’Autre, dans le passage de l’énoncé à l’énonciation, marque le désir du sujet.
Daniel Roy s’en réfère au « p’titom »[5] lacanien pour questionner ce qu’il en est de ses fictions, de ses fantasmes, mais n’en reste pas là. Il s’appuie aussi sur l’ouvrage de Lewis Caroll, Alice au pays des merveilles, personnage qui évolue dans un univers à plusieurs dimensions, très prisé à l’époque moderne, pour traiter des modalités de fonctionnement des fictions, toute apparentées aux théories sexuelles. Ainsi nous avons pu différencier, fiction du côté du fantasme où l’enfant trouve ressource de semblant et fixion du côté du réel, où le sujet se perd « à vouloir gagner des vies illimitées où rien ne se perd »[6], orientant ainsi la pratique de chacun, alors instrument du travail avec un enfant, au cas par cas de ses fic(x)tions, toujours manipulations langagières,
Daniel Roy décrit chacun de ces petits sujets que nous rencontrons comme « parlêtre, habitant cette zone littorale qu’est l’enfance », encore faut il qu’il sorte d’un territoire où la demande de l’Autre est si prégnante qu’il ne peut advenir à la vérité de son être.
Ces notions de littoral et de territoire nous ont été d’un grand enseignement :
L’identification des enfants au « je suis » de la demande de l’Autre et de l’époque s’appuie sur des fictions de territoire, comme l’indiquent les panoplies de petites miss très contemporaines, petite sœurs de la Lolita de Nabokov. Identifiées à ces fictions , elles risquent, s’y confondant, de renoncer à la vérité de leur être.
Parler de littoral, c’est inviter chaque enfant à jouer les cartes du jeu qui lui a été donné, le rencontrer pour qu’il puisse « se procurer au passage une certaine forme de liberté »[7]. Nommé dans et par le désir de l’Autre, il pourra ainsi par l’usage qu’il fera de sa lalangue, passer d’être parlé à sujet parlant.
Directement en écho écho au texte de Daniel Roy, la soirée avec Laurent Dupont en janvier a été le point d’orgue de ces deux années de préparation. Il nous a présenté sa conférence « découvrir l’enfant » et discuté deux cas cliniques que nous avions travaillés en ce sens. Les notions de territoire « étendue de pays qui ressortit à une autorité, à une juridiction, espace délimité que quelqu’un s’attribue et sur lequel il veut garder toute autorité » et de littoral « zone sinueuse où s’établit le contact entre la mer et la terre » mais toujours modulable travaillées précédemment s’accordaient en effet tout à fait à cette conférence. Entre ange et diable, le petit sujet au travail dont il était question a pu, via la rencontre avec Laurent Dupont, par la contingence du premier rendez-vous et le discours maternel qui le présentait, explorer le littoral qui est le sien, cette zone qui se découvre quand la mer se retire.
[1] Lacan J., Le séminaire livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, PUF, chapitre 18, p. 210
[2]Roy.D., « Fictions d’enfance », la Cause 87, Paris, Navarin/Seuil, 2014, p. 8 à16
[3] Roy.D., « Fictions d’enfance », la Cause 87, Paris, Navarin/Seuil, 2014, p. 11
[4] Lacan J., Le séminaire livre XVI, D’un Autre à l’autre, Paris, PUF, p. 348
[5] Lacan J.,Le séminaire livre XXIII, Le sinthome, « Joyce le symptôme, conférence donnée le 16 juin 1975 » Paris, PUF, 2005, p. 161
[6] Roy.D., « Fictions d’enfance », la Cause 87, Paris, Navarin/Seuil, 2014, p. 10
[7] Roy.D., « Fictions d’enfance », la Cause 87, Paris, Navarin/Seuil, 2014, p. 16