La Diagonale francophone du NRC
Dominic : réduire les biais !
L’utilisation grandissante d’instruments de dépistage précoce tel que le Dominic pour la prise en charge des troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent témoigne d’une époque où le temps de conclure télescope celui de voir et de comprendre. Il n’est plus de mise de s’interroger sur la manière dont le sujet parvient à nouer singulièrement langue et libido : le trouble doit être éradiqué pour faire respecter l’ordre public, sans considération pour la structure, dans une homogénéisation des signes cliniques et sans prise en compte de la fonction que peut avoir un symptôme. Plus vite il sera « diagnostiqué » dans le cadre institutionnel et normatif que reste l’école où ce test est pratiqué, plus vite il pourra être « traité », d’où l’étude des comportements sur fond de recherche systématique des facteurs de risque ayant pour conséquence un étiquetage et une stigmatisation.
Le Dominic est un « outil » auto-administré, informatisé créé au Québec, traduit en onze langues, dont l’utilisation s’étend aux États-Unis, à l’Europe et à l’Australie. Il a pour but de « dépister » à grande échelle et au plus vite les problèmes de santé mentale « dans un format similaire à un jeu d’ordinateur ». Réponse ad hoc à une société dont la rentabilisation est la boussole, il permet à moindre coût – formation (2 à 3 heures), utilisation (15 minutes), administration en groupe -, d’établir des « profils symptomatologiques », des classifications en trois catégories définies par des points verts, oranges ou rouges (normal, doute, probablement pathologique). L’anticipation d’un trouble possible est ainsi confiée à un traitement informatique immédiat qui assure « l’élimination de l’interprétation dans l’établissement d’un diagnostic » et « une amélioration de la fiabilité des réponses ». L’interlocuteur est un écran où défilent 90 images interactives accompagnées d’une question où il s’agit de répondre par oui ou non. Elles représentent Dominique auquel l’enfant ou l’adolescent doit s’identifier dans des situations concrètes de la vie quotidienne en référence à des notions abstraites des troubles mentaux « intériorisés et extériorisés », les plus fréquents répertoriés dans le DSM4 qui sert de langage commun.
Nulle part, lors de la passation, n’est prise en compte la parole du sujet, ni bien sûr la chaîne associative qui se déroule et permettrait de remonter à l’origine sexuelle du symptôme. Il faut, au contraire, toujours plus réduire les biais. Pourtant, comme le lapsus ou le mot d’esprit, le symptôme est une formation singulière de l’inconscient, « une vérité en souffrance » à déchiffrer au-delà de ce qui se dit, l’interprétation en permet l’allégement.
L’utilisation de Dominic et le langage informatif utilisé ne laisse pas de place au ratage, à l’équivocité, à l’invention propre au sujet. Pas d’erreur possible : la machine est passée par là, c’est oui ou c’est non. Un simple clic et l’uniformisation des comportements prévalent qui permettent d’établir des catégories « santé versus maladie », par la présence ou l’absence de troubles médicalement répertoriés et considérés comme déterminants parce que « choisis par des groupes d’experts ».
Sous couvert de prévention d’une éventuelle pathologie, d’actions précoces et curatives, l’évaluation standardisée préconisée ici à pour conséquence de ne pas tenir compte du statut natif du sujet : sa division. Il s’agit plutôt de la prescription de traitements appropriés pour que règne la paix sociale.